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PREAMBULE

                                                 2 ans plus tôt

 

 

Giulia rêve... Un beau rêve, certainement. Un sourire est dessiné sur ses lèvres. Elle ne sait pas qu’il s'agit de son dernier songe.

 

Elle a passé cette dernière journée agréablement après d’être promenée dans le parc de la villa Mauresque. Odeurs mêlées de jonquilles, mimosas et herbes coupées. Chants mélodieux des oiseaux. Petits cailloux crissant sous ses semelles. Elle s’est souvenue avec nostalgie des moments passés avec son époux.

 

C’était avant. Il y a si longtemps ! Avant que Marceau ne meure dans les années 70 des suites d’un horrible cancer, conséquence de son travail de conducteur de train. Pas les trains d’aujourd’hui reliés à des lignes électriques. Les trains de cette époque lointaine étaient à vapeur. Les particules de charbon inhalées durant ses années d’activités empoisonnant sournoisement son organisme. S’infiltrant insidieusement dans ses poumons, sa gorge. Cancer ayant fini par se généraliser et mettre fin à sa vie dans des souffrances inhumaines. Il était devenu l’ombre de lui-même. Ses beaux cheveux bruns avaient disparu, son corps était devenu maigre, osseux. Sa peau cireuse. Ses traits fantomatiques ravagés par une douleur qui semblait le consumer de l’intérieur. Elle ne reconnaissait plus son bel amour, il la regardait comme on regarde une étrangère. A un tel point que sa mort avait été une délivrance.  

 

Paradoxalement, il lui semble que son deuil date d’hier mais également, chose curieuse, d’il y a longtemps, si longtemps… Sans les photographies posées sur son buffet, elle est peinée de constater qu’elle ne se souviendrait même plus du visage de son adorable époux. Adorable, mais non sans défaut, comme tout un chacun. Si charmant qu’il plaisait beaucoup, et pas uniquement à sa femme. Giulia a toujours su qu’il la trompait même si lui n’a jamais su qu’elle savait. Elle lui a toujours pardonné ses incartades, il était un si bon père pour Sofia âgée d’une dizaine d’années lors de son décès. Un si bon époux.

 

A son décès, Giulia qui n’avait jamais travaillé avait dû prendre le taureau par les cornes. Pour nourrir sa petite fille, elle avait transformé sa charmante maison en chambres d’hôtes. Et finalement, à sa grande surprise, elle avait énormément apprécié son rôle d’hôtesse qui lui avait permis de rencontrer nombre de gens intéressants. La plupart étant devenu des habitués qui revenaient d’une année sur l’autre.

 

Ses pas l’avaient menée devant la pinasse marquant l’emplacement du casino mauresque. Elle venait s’y distraire le dimanche avec son cher Marceau. Ils y jouaient de petites sommes, juste quelques francs… Buvaient un verre de citronnade sur la terrasse en admirant le parc… Quel dommage que le bel édifice ait été détruit entièrement par un incendie en 1977 et jamais reconstruit.

 

 Un petit soupir s’était échappé de ses lèvres mais elle n’était pas nostalgique. Elle était satisfaite de son existence et comptait bien profiter des dernières années qui lui restaient.

 

Les petites choses de la vie faisaient son bonheur. Le chant des oiseaux piaillant dans les arbres, les odeurs de fleurs et le clapotis de l’eau des fontaines. Les enfants qu’elle croisait dans le parc cet après-midi se poursuivaient en riant, toujours à l’affût d’une nouvelle bêtise. Traçant leur route vers un avenir plein de promesses.

 

Elle avait continué son chemin et s’était amusée à lire le nom des belles villas devant lesquelles elle baguenaudait : La Joconde, Figaro, Fantaisie ou Madeleine qui avaient accueilli en des temps anciens Gustave Flaubert.

 

Giulia avait passé l’après-midi avec ses amies devant un thé accompagné de petits gâteaux. Les avantages de l’âge. Elle n’était plus obligée de surveiller sa ligne et profitait pleinement des petits bonheurs sucrés que lui apportait l’existence.

 

ΩΩΩ

 

Si la charmante Giulia ne sait pas qu’elle va mourir, la silhouette qui est dissimulée dans l'ombre le sait. C'est le monstre qui va lui prendre sa vie. Il ne se soucie pas d’attrister une famille aimante. Il regarde la grand-mère : elle dort paisiblement. Ses cheveux blancs sont répandus sur l’oreiller bordé de dentelle blanche. Ils ont la texture de ceux d’un bébé. Son beau visage est doux, lisse, l'âge ne l'a pas abîmé. Très peu de rides disgracieuses griffent ses traits. Son haleine a l'odeur de la réglisse. Un léger ronflement s'échappe de sa bouche entr’ouverte. Le col en satin de sa chemise de nuit rose dépasse. Elle est comme toujours élégante, même la nuit. Il ne voit pas ses mains dissimulées sous la couette, mais il devine les ongles soigneusement manucurés. Une odeur de poudre de riz et d’eau de Cologne ambrée flotte dans la chambre.

 

Le regard de l'intrus s'emplit de larmes. Il l'aimait cette vieille dame si charmante ! Pourtant, elle doit disparaître !

 

Il s'approche sans bruit du verre posé sur la table de nuit. Retient son souffle. Il entend à l'extérieur le hululement d'un oiseau de nuit. A part ça, tout est calme dans ce beau quartier de la ville d'hiver à Arcachon. Le magnifique chat couché au pied du lit a paresseusement ouvert un œil. Il l'a reconnu et rassuré est retombé dans les bras de Morphée. Un rai de lumière provenant de la lune traverse le bow-window et dessine un sentier de lumière sur le couvre-lit avec de petits grains de poussière en suspension.

 

De sa main gantée, il ouvre délicatement le bouchon d'un petit flacon. Soudain, il se fige, interrompt son geste. Il vient de l’entendre bouger. Il n’ose se retourner, il bloque sa respiration. Elle va se mettre à hurler, le reconnaître, lui demander ce qu’il fait dans sa chambre. En l’espace d’une seconde, il se demande quelle explication il va bien pouvoir lui donner. Elle s’est certainement rendue compte qu’il y avait quelqu’un dans la pièce. Il a l’impression que le temps est suspendu, que plus rien ne bouge. Seuls les craquements de la vieille demeure troublent le silence.

 

Il pivote lentement, très lentement, puis s’aperçoit qu’elle s’est simplement retournée dans son lit en soupirant. Il est rassuré et revient à sa sinistre mission.  Il se dépêche de verser le contenu de la fiole dans le verre. Lorsqu'elle le portera à ses lèvres, comme tous les matins, elle s'empoisonnera. Elle qui  a toujours dit que les habitudes étaient mauvaises. Une fois de plus, elle avait raison : les habitudes ne sont pas bonnes. Elles peuvent même tuer. La preuve.

 

Après un dernier regard, l'intrus s'en va, aussi silencieusement que lorsqu'il est entré dans la chambre. Il ne peut s'empêcher d'essuyer une larme qui roule sur sa joue. Il referme doucement la porte, descend les escaliers sur la pointe des pieds. Son regard glisse sur les photographies qui décorent les murs la plupart représentant des moments heureux en famille. Sofia bébé, enfant, adolescente. Jeune majorette au regard fier. Ana avec son air mutin un petit chaton roux sur les genoux. Un homme élégant qui serre Giulia dans ses bras en la couvant d’un regard plein d’amour. Des odeurs de cire et de fleur d’oranger embaument la maison.

 

 

 

En sortant, il ne peut s’empêcher d’admirer une dernière fois la jolie villa avec ses lambrequins de bois découpé et les délicats ornements en remplissage de la charpente. Il se sent légèrement enivré par les odeurs lourdes dégagées par la glycine qui décore la tonnelle. Dehors tout est calme, il n’y a personne dans ce petit quartier résidentiel. Il sort de sa rêverie, s’installe dans son véhicule et se dépêche de disparaître.

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